Un passager imprévu
Debout, les bras levés en larges moulinets, un vieux bonhomme s’agite en faisant virevolter la neige autour de lui. Il doit mesurer pas loin de deux mètres et en faire au moins un de large. Que me veux ce personnage picaresque à la chevelure débordante d’une si vieille coiffe, qu’on ne sait plus si c’est un bonnet ou un chapeau, et à la barbe mal taillée ? Il trimballe une besace, aussi vieille que lui, qui lui bât les reins. Je sens que ça va être compliqué car je ne parle pas plus le biélorusse que le polonais et mon savoir russe s’arrête à une trentaine de mots que j’articule difficilement. Il s’approche sur ma gauche. Je baisse la vitre. Et là, stupeur !
– Vous pouvez me prendre ?
Je suis au milieu de nulle part, on ne voit pas à plus de dix mètres et j’ai devant moi un bonhomme qui parle français ! Un français un peu rocailleux. La voix est grave mais plutôt chaleureuse. Il semble bien propre sur lui, bien que ses vêtements semblent d’une autre époque. Son manteau est d’un bleu indéfinissable, plutôt usé par le temps. Avec ses grandes poches, il doit pouvoir placer toutes ces choses dont on a besoin ici pour survivre, au cas où on serait en mauvaise posture avec les éléments.
– Vous parlez français ?, répondis-je, plutôt interloqué. Mais il insiste et répète :
– Vous pouvez me prendre ?
– Vous allez où ?
– Au même endroit que vous ! rétorque-t-il avec assurance.
– Mais comment savez-vous où je vais ?
– Tout simplement parce que, dans le poste de douane où je vous attendais bien au chaud, le douanier me l’a dit. C’est marqué sur votre fiche de résidence !
– Vous m’attendiez ? Que me racontez-vous là ?
– Je savais que vous alliez venir !
Je me dis que j’avais un fou devant moi. Il me contait un boniment pour faire du stop à l’œil. Je réfléchissais quand le douanier revint à ma hauteur et me lâcha un « nie značyć » ou plutôt « не значыць !». Je restai aussi coi que dubitatif.
– Le douanier vient de vous dire que je ne suis pas méchant ! Il me connaît bien ; et moi aussi, depuis qu’il est tout petit ! Sa voie assurée me semblait accréditer la chose.
– Et vous pouvez vérifier, je n’ai pas d’armes !
Que faire par un tel temps ? Si la neige tourne en tempête, ce vieil homme finira en bonhomme de neige !
– Allez, montez ! Mais je ne vais pas plus loin que Grodno !
– Mais çà me va tout à fait ! répondit-il avec, en coin, un sourire malicieux. Et en montant, il ajouta :
– Et puis, je pourrais vous aider dans la conduite. Je connais les pièges de cette route et ils sont nombreux ! Vous ne ferez pas la route tout seul ! Ce sera plus rassurant !
Un couple improbable s’embarquait pour un voyage au bout de la nuit, sous les rafales de neige, au milieu du brouillard, par un froid polaire. Un décor boréal pour une ballade homérique !