…Ou comment en finir avec la caricature de la cuisine anglaise
S’il y a un apport remarquable des activités de jumelage, c’est de nous avoir permis de juger “sur pièces” les talents culinaires de nos pays amis ! Notre amitié de plus de 40 ans avec Kenilworth doit donc définitivement nous libérer de nos préjugés sur la « cuisine anglaise ». D’abord, il n’y a pas une « cuisine anglaise », chaque région a la sienne. Ensuite, il faut bien reconnaitre que nous sommes peu nombreux à pouvoir citer précisément un plat qui correspondrait à l’image qu’on se fait en France de la cuisine anglaise. Nous sommes souvent entre caricature et simplisme. Or, il y a bien une cuisine outre-Manche qui non seulement est bonne et savoureuse, mais en plus elle est dynamique.
Mais pourquoi une telle image négative, voire sarcastique parfois, de la cuisine de nos voisins britanniques ? Dans les années 1950, 60 et 70, un malentendu s’est installé qui a forgé pour des années et jusqu’à aujourd’hui cette image négative. Il s’explique assez facilement.
D’abord, en matière de nourriture, la guerre a été beaucoup plus cruelle pour les Britanniques que pour les Français. Le rationnement a été maintenu jusqu’au milieu des années 50. Les succédanés sont, pour certains, encore présents sous une forme aujourd’hui admise, la Marmite (sujet à controverses), l’OXO, la Worcester Sauce, la sauce brune HP, … inventés à l’origine pour cacher le goût de la nourriture infecte du temps de guerre et qui ont toujours leurs partisans. La fin de la guerre n’a malheureusement pas fait disparaître ces produits alors que, de notre côté, l’agriculture compensait rapidement les privations que nous avions subies.
Un peu d’histoire …
Par ailleurs, les mœurs ont changé beaucoup plus rapidement chez nos amis anglais, plus soumis aux influences américaines. Ainsi, la nourriture a pris moins de place dans leur vie et dans leur budget, les gens ont pris l’habitude de manger sur le pouce près de leur travail, l’augmentation du nombre de femmes en activité les ont distancées des fourneaux avant que nous y revenions par plaisir.
Pourtant, dans le temps, on savait vivre et surtout, on savait boire et manger en Angleterre. N’oublions pas que nous leur devons le porto, le madère, le vermouth, le brandy, cognac ou armagnac et beaucoup de vins cuits et que certains termes sont entrés dans la langue française, tel que mot roastbeef, faute d’équivalent exact. Henri James dans les premières lignes de « The Portrait Of A Lady » nous offre une magnifique description d’un «afternoontea » reflet du raffinement de la société victorienne, avec ses toasts croustillants, chauds et beurrés, les scones (prononcer Scounz en british english), les buns, les muffins, les marmalades et autres confitures, cakes et pâtisseries en tous genres.
Cette qualité est cependant toujours bien là aujourd’hui. Avez-vous essayé les grands classiques : l’épaule d’agneau avec ses pommes de terre rôties, ses légumes et sa sauce à la menthe (mais oui, M. Astérix !), le welsh rarebit et tous les ragoûts qu’offrent les pubs dans la campagne anglaise, un fish and chips avec du citron ou du vinaigre de malt et même un haggis tant décrié par Jacques Baudouin ?
What about today ?
Ces mets raffinés s’appuient sur une grande variété de produits et une production de qualité, les pommes de terre de Jersey ou du Cheshire, les bœufs Aberdeen Angus, les agneaux et les moutons du Lancashire… . Quant aux fromages, (bien que moins nombreux que chez nous (mais comment voulez-vous gouverner un pays ….) ils tiennent largement la comparaison. Essayez donc un morceau de Stilton avec un verre de portotawny,….un pur instant de bonheur gustatif.
Et que dire des desserts : outre les fameux “puddings”, on succombe avec les crumbles ou les trifles sur un lit de custard chaude, les Sussex pond pudding au citron, les Eccles Cakes, cheesecake…. Sans oublier naturellement la célèbre « jelly » (très controversée –to say the least!) avec du Beaumes de Venise et des framboises, c’est divin.
Cette cuisine locale est bien vivante et s’enrichit tous les jours, s’inspirant des influences de toutes les régions du monde et, tout particulièrement, du Commonwealth. Nation de commerçants, la Grande-Bretagne a su tirer profit de toutes ces influences “exotiques”. La plus célèbre bien sûr, reste le thé, venu de Chine d’abord puis cultivé à grande échelle en Inde et à Ceylan. Bien d’autres apports sont venus compléter l’art culinaire britannique : les curries, les chutneys, sorte de confiture vinaigrée qui sert de condiments, et toutes les saveurs, tous les parfums du Raj, le sucre, les légumes, les épices des « Indes de l’Ouest », les influences d’Afrique de l’Est et du Sud, la pointe arabe et juive….
Toutes ces richesses sont orchestrées avec génie par des chef.fe.s, pourtant mal connu(es) voire inconnu(es) en France : To name but a few, Delia Smith, Mary Berry (Dame depuis cet automne), Nigela Lawson, Ainsley, Gary Rhodes, Rick Stein, Raymond Blanc (le nom de celui-ci sonne bien français, ayant certes franchi la Manche, mais pour la bonne cause)… Vous ne les avez pas vus et pourtant, regardez sur les tables de votre librairie, leurs livres de recettes sont bien là traduits, Jamie Oliver, Gordon Ramsay, Hugh Fearnley-Wittingstall, …
Les Anglais ont même une chaîne gratuite entièrement dédiée à la cuisine : food network. Et savez-vous que OuiChef, MasterChef, Top Chef, Cauchemar en Cuisine, Un dîner presque parfait,… ces programmes qui ont tant de succès chez nous, ont tous été inventés là-bas et ont même été diffusés dix ans avant nous ?
Et pour finir, vous prendrez quoi ?
Vous avez commencé par un Pim’s, un gin au sureau avec du tonic, une pinte de bière stout, bitter ou lager, une bolée de cidre du Somerset, un verre de vin du Kent (mais oui !), vous gouterez bien mon whisky ? Un Speyside de 20 ans d’âge, un Skye bien tourbé conservé en fût de chêne, le Lochnagar du Prince de Gallesou plus modestement un blend avec un glaçon ?
Alors, clichés ou a priori ? orgueil ou préjugés ? Essayons, nous-aussi, de franchir le pas. « La bouillante eau qui donne un goût délicieux à tout » (Astérix chez les Belges), « le haggis … qui n’en fut pas » (Jacques Baudoin)…. ? J’espère que cet article, sans prétention vous aura ouvert de nouveaux horizons et vous aura donné l’envie de profiter de ce confinement pour vous essayer à la cuisine anglaise. De nouvelles perspectives s’ouvrent. Vivement la fin du confinement pour que nous puissions en profiter.