Erstes deutsches Osterfest

Mes premières Pâques allemandes ne furent pas un sentier de félicité mais un chemin de croix – normal diriez-vous, vue la période – et mon premier impair inconscient qui marquait bien le fossé culturel que j’avais à combler. Ce que je pensais être une histoire de gourmandise touchait en fait à l’art, une histoire de foie se transcendait en un culte divin rendu à un phénomène de société.

En Allemagne, Pâques signifie chocolat. Pour un Français, c’est souvent sucré, parfois un peu âcre mais toujours délicieux. Gourmand d’un jour, pêcheur de toujours ! Pour moi, à l’époque, on prenait une bouchée, on tournait en bouche et bis repetita… Mais que n’avais-je pas fait là ! Le frère de ma logeuse était pâtissier-chocolatier. J’avais commis devant lui un crime de lèse-majesté qui méritait de connaître, en punition, une bonne indigestion. Car devant un chocolat, on doit penser et se recueillir, observer et méditer, humer des ailes du nez pour sentir au fond de l’appareil nasal ; mais surtout ne pas mettre directement en bouche ! Rustre de Français ! Il faut avouer qu’il était Bavarois et donc, par le passé, un séculaire ennemi. J’ignorais tout un rituel à accomplir qu’une éducation préalable rend néanmoins possible (l’éducation toujours). Sinon, comment déguster ? Comment atteindre le plaisir ? C’est là où on diverge de chaque côté du Rhin !

Alors que l’hexagone cassait ses tablettes, le chocolat outre-Rhin avait déjà gagné en valeur et en prestige la reconnaissance de ses consommateurs avertis. Les Allemands le dégustaient déjà comme les Français un bon vin. Ça rend aussi dépendant mais l’hépatite remplaçant la cirrhose. Et mon tuteur, mentor en nouvelle gourmandise, de déplier doctement un cours ex cathedra.

Il faut d’abord éduquer les sens pour pouvoir comparer les différentes textures et les nuances aromatiques d’un chocolat. Pas de secret, il faut déguster. Jusqu’à là, ça va. C’est même plus gai et plus facile qu’avec le vin où l’alcool entre en compte et fait les papilles gustatives plus vite saturées. Avec le chocolat, on peut en manger plusieurs sans trop de souci. Toutefois, une tablette, ça va. Trois tablettes, bonjour les dégâts !

Comme pour un vin, un chocolat a des notes en entrée en bouche, comme en fin de bouche. Et il m’explique : le chocolat de Madagascar a des notes de fruits rouges au début, avant de laisser place à des notes d’agrumes et de citron en finale ! Chaque terroir a ses caractéristiques, du moment qu’on n’assemble pas les fèves entre elles. C’est donc le contraire du champagne et du bordeaux ! Sinon, les goûts s’annulent et les nuances aromatiques sont moins présentes. Résultat ? C’est plus plat en bouche ! Vous voyez donc qu’il y a une méthode d’approche. Une initiation en quatre étapes… et autant d’essais à recommencer. Vive le cheminement gourmand initiatique : Goethe n’y avait pas pensé en inventant le Bildungsroman pour le jeune Werther ! Manque d’affinités électives du Sage de Weimar avec le cacao ? Trop préoccupé sans doute à demander « kennst du das Land wo die Zitronen blühn » ? Mignon mais pas gourmand !

1 – Sentir le chocolat

Pour apprécier un chocolat, la règle d’or est simple : il faut écouter ses cinq sens. Cette règle est valable pour les chocolats dits de domaine, ces chocolats noirs fabriqués à partir de fèves de petites plantations. On pense souvent que le goût est le sens le plus important quand on déguste du chocolat. Or, l’odorat se révèle encore plus essentiel. Grâce à l’odorat, on perçoit les premières effluves du chocolat. On décèle immédiatement si les matières premières ont été respectées. L’odorat détermine en premier le bon goût du chocolat. Donc toujours sentir le chocolat avant de le manger : les nuances aromatiques sont plutôt à chercher vers le nez. Si on est enrhumé, on a moins de plaisir à savourer du chocolat. Moralité : abstenez-vous alors de vous faire plaisir ! Votre bonheur du coeur vient du nez !

2 – Prendre le temps de le manger

Le palais détermine la texture du chocolat. En bouche, le chocolat ne doit pas être sablonneux : son grain doit être petit pour que le chocolat fonde sur la langue. Pour apprécier un chocolat, il faut prendre le temps de le déguster. Un conseil : buvez une gorgée d’eau fraîche et neutre entre chaque chocolat ! Comme les Écossais avec un bon whisky !. Votre palais sera alors plus disponible pour saisir les nuances aromatiques. Si le chocolat disparaît vite du palais, cela signifie que la filière industrielle a ajouté de la matière grasse, or la matière sèche du cacao doit rester très longtemps en bouche ! Nouveau moyen d’apprécier la qualité.

3 – Mettre en éveil son ouïe

Et oui, le chocolat se goûte aussi à l’oreille ! Vous pensiez que l’ouïe n’avait aucune importance dans la dégustation ? Que nenni ! Un chocolat de qualité doit se faire entendre avec la même rigueur qu’un bruit de bottes prussiennes ! Il ne serre pas les talons par respect mais il doit se présenter à vous avec les mêmes égards. Vous devez donc être attentif à ce petit moment où vous cassez un morceau de chocolat. Un bruit doit surgir, net et franc. Il doit donc être sec comme un coup de schlague ! . Si le chocolat n’a pas été tempéré correctement et n’a pas bien cristallisé, vous n’aurez pas ce fameux craquement bien sonore. Car un son bref indique que le chocolatier a bien travaillé.

4 – Observer et toucher le chocolat

Impossible de donner un avis sur un chocolat dans un test à l’aveugle ! La vue est également sollicitée lors de la dégustation de chocolat. Il faut particulièrement être attentif à son aspect. Un bon chocolat est brillant. Là encore, c’est le signe d’un travail abouti et réussi. Il doit en plus être lisse, preuve que les cristaux de cacao ont été correctement absorbés. La dégustation n’en sera que meilleure ! Dernier élément : le toucher. Ce n’est pas le sens le plus important, mais il permet de s’assurer que le chocolat n’est pas rugueux. Rien ne doit dépasser. Si c’est le cas, le chocolat n’est pas suffisamment raffiné.

Vous avez à présent toutes les cartes en main, en nez, à l’oreille et devant les yeux pour apprécier vos prochaines dégustations chocolatées. C’est une éducation aussi rigoureuse que brève mais qui demande moult répétitions. Alors travaillez d’arrache-pied ! Ne relâchez pas vos efforts devant une belle boîte ! Mais attention à la crise de foie…

Patrick DESAINT
Patrick DESAINT

Membre éminent de l’ARAI, Patrick DESAINT est un fervent Europhile qui passe beaucoup de son temps à Bruxelles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *