Lourde atmosphère de crainte de contagion inopinée, peur millénariste et cataclysmique infondée, difficile retour sur soi-même, déplacements pour le plaisir bridés…. Difficile d’avoir la tête ailleurs. Et pourtant….
« Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déception et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force… Et puis d’abord, tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie ».
Louis-Ferdinand Céline – Voyage au bout de la nuit
Un vieux proverbe danois affirme : « Qui veut voyager doit ouvrir la bourse et fermer la bouche. » Oui pour savoir écouter mais osons le contraire ! Démocrite, qui fut un grand voyageur, n’affirmait- il pas déjà : «Une vie sans plaisir, c’est un long voyage sans auberge ». Alors, à défaut de pouvoir voyager par les airs et par les routes, vivons le voyage par la cuisine de nos quatre pays européens jumelés à notre association : l’Angleterre du Royaume bientôt désuni de Grande Bretagne, l’Allemagne, la Pologne et la Roumanie. Autant d’occasions pour faire revenir les souvenirs… et de réaliser autrement un rêve et un besoin d’évasion.
Itinéraire simple en douze recettes, autant que d’étoiles au drapeau européen. Certains y verront un complément aux autres recettes proposées aux inscrits de voyages précédents. Merci à nos correspondants européens œuvrant au Parlement Européen qui ont plongé dans leurs livres de cuisine et leur grimoire familial, source de recettes aussi culinaires que patrimoniales. Notre Colette nationale partageait cette aura mystérieuse quand elle écrivait : « Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine ». Car ici, nous ne parlerons pas de gastronomie, mais de cuisine familiale, voire paysanne. Celle des vrais gens, celle qui nous fait approcher la culture de l’autre. Souvent roborative, elle est l’adaptation aux climats de leur origine et, avec nos premiers frimas, adaptée à notre saison. Bref, un voyage « à la fourchette » et dans l’assiette pour un dépaysement facile par un air venu d’ailleurs. Une fenêtre ouverte hors confinement.
« Le voyage est une espèce de porte où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve. »
Guy de Maupassant – Journal
Cette douce errance nous fera parcourir le Yorkshire, le Lancashire et le Norfolk, la Rhénanie et la Souabe, la Mazovie, la Grande Pologne et la Mazurie, enfin la Moldavie dont la Bucovine et la Valachie, plus précisément l’Olténie. Découvertes culinaires entrecoupées d’appréciations de quelques locaux ou victimes. On sera donc parfois loin du dicton de notre bon roi Henri IV qui reconnaissait : « Bonne cuisine et bon vin, c’est paradis sur terre ». Ce qu’approuve un vieux proverbe teuton : « Heureux comme Dieu en France ».
« Chaque nation aime sa cuisine ; elle la considère comme la meilleure de toutes. Chacune a raison, car elle ne peut s’en passer. La cuisine d’un groupement humain est le reflet du ciel, de la terre, des eaux du pays où il est fixé ». Celui qui l’affirmait était chef de service à l’Institut Pasteur (on ne s’y occupait pas seulement d’épidémies) et s’intéressait à la gastronomie, même s’il publia régulièrement, pendant l’Occupation, des recettes adaptées aux restrictions et pénuries d’alors. Merci Edouard Alexandre de Pomiane, né Pożerski, chroniqueur radiophonique qui formera, les plus anciens s’en souviendront, la célèbre Mapie de Toulouse-Lautrec (la sœur de l’écrivain Louise de Vilmorin, dernière épouse manquée d’André Malraux par suite de son décès de la grippe de Hong Kong qui fit, en 1969-1970, 31 000 morts en France déjà oubliés…) Éternelle Mapie et ses fameuses « fiches cuisine » de la revue ELLE ! Ce bon Pomiane dirait aujourd’hui, qu’avec la mondialisation des échanges et l’internationalisation des standards de saveur, certaines cuisines s’améliorent pendant que d’autres s’abâtardissent. Ainsi va la vie… ce qui n’empêche de lutter pour sauver des patrimoines ! Néanmoins, si on « sent » un pays par ses contacts humains, on le « pressent » à défaut par ses réalisations. Et quoi de plus perceptif et sensitif que par sa cuisine ?
© Patrick Desaint – L’Europe dans l’assiette (ULS Bruxelles) novembre 2020