Epiphany Bleá Cliath

L’Épiphanie – Théophanie pour les orthodoxes (manifestation de Dieu) – est, pour les croyants, la fête chrétienne qui célèbre le Messie venu et incarné dans le monde. Il reçoit la visite et l’hommage de savants le 6 janvier. En réalité, une ancienne fête de la Lumière de l’Antiquité qui a conservé son symbole païen, le soleil, sous forme de la fameuse galette des Rois, bien dorée et bien chaude. C’est la définition même du grec epiphanios, « illustre, éclatant », de épi– « sur » et phainein « briller ».

Cette magnificence a donné une idée à un certain Matthias Buchinger, un allemand… qui finit sa vie en Irlande (Ansbach 1674 – Cork 1740). Mais lisez plutôt cette curieuse histoire que je rapportai de mes études dublinoises au Trinity College, à une époque ou Erasmus n’existait pas encore. C’était exactement il y a trois cent et un ans, le 6 janvier 1720, à Dublin (Bleá Cliath). Ce curieux bonhomme était né nain, mal-formé, sans jambes ni bras ! Mais tout n’était pas atrophié car le bougre fut marié quatre fois et eu au moins quatorze enfants, de huit femmes différentes et plus de septante maîtresses !

Pour ce hisser au niveau des grands de ce monde – il était atteint de phocomélie –, il revisita la fête des Saturnales romaines où « plus de maîtres, plus de serviteurs, plus d’esclaves, plus de travail, chacun revêtait comme il lui plaisait les vêtements des autres, buvait et mangeait son saoul ». Sept jours pendant lesquels la hiérarchie sociale et la logique des choses peuvent être critiquées, brocardées et parodiées. Et celui qui trouve la fève devient le roi – ou la reine – d’un jour. Une journée de revanche pour un nain.

Il entreprit donc son cuisinier et lui fit préparer près d’un quintal de pâte pour constituer une gigantesque galette à la frangipane à l’intérieur de laquelle il se dissimulerait… après cuisson du fond et du couvercle. Pas impossible : il ne mesurait que 73,5 cm !
Il lance les invitations des Grands de Son Monde et décompte savamment le calendrier solaire, commencé au solstice d’hiver, le 22 décembre. C’est la nuit la plus longue de l’année, celle qui annonce le rallongement des jours et, par extension, la renaissance de la lumière, origine de toutes choses.

Arrive le 6 janvier et le repas. Près de sa fin, il s’esquive et part en cuisine. Il se couvre de langes et se fait emmailloter… pour revenir à l’intérieur de la galette. Émerveillement des convives qui attendent la manifestation du Christ dans le monde. On attend la venue des mages pour l’apparition divine. Les garçons des gens de cuisine sont déguisés en rois mages. Ils doivent faire tourner une étoile montée sur un bâton et chanter « Es kummen drei Weissen vom Morgenland » (Trois mages sont venus de l’Orient). Mais rien ne se passe. Dans la galette, on commence à étouffer. N’y pouvant plus, Matthias Buchinger veut défoncer le couvercle. Mais ses bras ne sont que deux excroissances poussant des omoplates, plus des nageoires d’un poisson que les bras d’un homme. Il cuit tout en s’agitant sur le dos comme un reptile. Caspard, Melchior et Balthazar, les trois Rois mages – vous avez repéré que leurs noms ont pour initiales celles de la bénédiction : « Christus Mansionem Benedicat » (que le Christ bénisse la demeure) – sont toujours en cuisine… trop occupés à engloutir les reliefs des plats retournés !

Il crie tout son saoul… mais peu de bruit sort de poumons atrophiés, emmaillotés et recouverts de frangipane dans une épaisse coque de pâte feuilletée. En se trémoussant, il finit par renverser son sarcophage qui se brise à terre.
Grosse colère du petit homme… qui se ravise vite. Un jour béni ne peut être celui d’un péché vengeur. Il se dirige alors vers la porte du logis, suivi des convives. Il prend au passage un brandon dans la cheminée et trace sur sa porte « 17 † C † M † B † 20 », soit « en l’an 1720, Gaspard (Caspar en allemand), Melchior et Balthazar ne sont pas venus ». Et de retomber sur le sigle CMB de la prière !

Cet usage de la bénédiction à la craie persiste en Allemagne du nord et je retrouverai le petit bonhomme, plus tard, lors d’un cycle d’études à la faculté de sciences économiques de l’Université de Münster, la « Westfälische Wilhelms-Universität (WWU) » de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. On me le représentera, lors d’une Offenbarung, comme ayant été, à son époque, « le plus Grand Allemand Vivant ». Le Petit Homme de Nuremberg se produisait devant l’aristocratie, comme une curiosité divine. On le disait aussi magicien. Ce fut un artiste reconnu pour ses pour ses micrographies, des illustrations accompagnées de très petits textes, signe d’un excellent calligraphe.

Mais c’est une autre histoire…

Patrick DESAINT © ULS Bruxelles 06-01-2021.

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