Une errance polonaise de Patrick DESAINT
Imaginez un Polonais de Podolie, en actuelle Ukraine, mort à New York, pianiste virtuose, compositeur, mécène, philanthrope, homme d’État et diplomate ! Cet homme orchestre a bien existé. Un bien curieux bonhomme comme les Polonais aiment à en générer à chaque génération.
Ignacy Jan Paderewski, (1860 – 1941), est d’abord un homme au charisme consommé et… un bourreau des cœurs. Un homme de petite noblesse, issu d’une famille musicale et militante anti-russe. Frappé par le destin tragique familial, il rejoint à Paris la diaspora polonaise émigrée… pour faire « ménage à trois » avec le couple Górski…et finalement épouser la belle ! Pianiste virtuose, il connaîtra à Paris un rappel d’une heure ! Rien de moins ! Il va mener grand train dans sa propriété suisse de Morgues, la ville des milliardaires. Cosmopolite, il achète un domaine viticole en Californie où des talents d’œnologue lui apportent récompenses et notoriété.
Fortune faite, il dote de nombreuses activités philanthropiques et se découvre un nouveau talent : celui d’un grand orateur. Il a la matière : son pays est depuis si longtemps dépecé par ses remuants voisins russe, prussien et austro-hongrois. Au dessus des factions politiques, il sait enflammer les foules. On se souvient encore de son discours sur le 500 eme anniversaire de la bataille de Grunwald, celle de la victoire des polono-lituaniens sur les Chevaliers teutoniques en 1410… dont il finança le monument commémoratif à Cracovie.
Avec la Première guerre mondiale, il milite pour l’indépendance de la Pologne, tout en secourant les victimes polonaises. Parti aux États-Unis, il récolte des fonds auprès des trois millions de Polonais émigrés et crée de par le monde 174 comités de soutien « œcuménique » et financier. Ce diable tribun, en quatre ans de guerre, prononce 340 discours et donne plus de 100 concerts. Ce sont ses années de diplomatie. En 1917, il remet au président américain Woodrow Wilson un memorandum sur la question polonaise. Pour une Pologne libre et démocratique, mais aussi viable en lui créant une accès à la mer Baltique. Il faut dire que Paderewski est aussi représentant aux États-Unis du gouvernement provisoire en exil à Paris, le Comité national polonais de Roman Dmowski. Et c’est l’envoi sur le front de 30 000 volontaires polonais des États–Unis pour créer l’armée Haller (ou Armée bleue). Et dans le discours au Congrès des « Quatorze points » du président américain figure l’indépendance de la Pologne… avec son accès à la mer !
À la fin de la Première Guerre mondiale, Paderewski provoque, par sa seule voix, un magistral soulèvement populaire contre l’armée allemande occupante. Si bien que le 16 janvier 1919, le chef de l’État polonais, le maréchal Józef Piłsudski nomme Ignacy Jan Paderewski à la tête du nouveau gouvernement avec le poste de ministre des affaires étrangères et représentant de la Pologne à la Conférence de la Paix à Paris. Il est signataire des traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye, devient diplomate itinérant de la Pologne et son représentant à la Société des Nations.
Après un retour à la musique, la montée du fascisme en Europe et du nazisme en Allemagne propulsent de nouveau Paderewski dans la sphère politique. En Suisse, il fonde en 1936 un mouvement politique, le « Front Morges », contre le régime de la « Sanacja » (assainissement, en polonais) qui s’égare après le décès du maréchal Piłsudski. Le maréchal avait fait le coup d’état et instauré un régime librement critiquable mais de moins en moins parlementaire et de plus en plus présidentiel. En septembre 1939, l’attaque allemande puis soviétique contre la Pologne marque le début de la guerre… et un nouveau partage de la Pologne. Malgré sa santé fragile, Paderewski prend part au gouvernement polonais en exil jusqu’à sa mort. Parti aux Etats-Unis, il discourt à la radio pour galvaniser la résistance. Il s’y épuise et contracte une pneumonie dont il meurt le 29 juin 1941 à New York. Docteur Honoris causa de quatorze universités prestigieuses de par le monde, sa dépouille est déposée au Cimetière des Héros américains d’Arlington. Elle y restera jusqu’à la libération complète de la Pologne pour être finalement transférée, le 5 juillet 1992, en la cathédrale Saint-Jean de Varsovie. A ses funérailles nationales, assisteront deux présidents : l’américain George Bush et le polonais Lech Wałęsa.
De profundis clamavi ad te !
Pour aller plus loin : Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) (bnf.fr) , Armée bleue — Wikipédia (wikipedia.org) ,
Sanation – Wikipedia , Prometheism – Wikipedia