Un début imprévu d’une fin prévisible
Après quatre mandats (2005, 2009, 20013, 2018), la Chancelière Angela Merkel fait toujours l’unanimité sur la scène internationale. Manœuvrière hors pair – disposition indispensable dans un régime purement parlementaire – , elle est devenue incontournable. Ses apartés à répétition pour dénouer les crises sont aussi célèbres que ses passes de petits papiers dans les sommets européens. Grosse cote en France pour celle qui parvient toujours à ses buts… Mais, en Allemagne, la stature prend des rides. Tout finit par lasser, monde d’ingratitude ! Et les Allemands de citer une très vieille chanson du XVI ème siècle – L’ordre des lansquenets – qui conclut que « Vieilles amours cessent un jour ».,
En 2017, Angela Merkel a été contrainte de se préparer à faire ses valises. Sa quatrième victoire aux législatives du Bundestag fut aussi laborieuse et conquérante que celle de Pyrrhus. En fait, devant la poussée de l’AfD, le bloc très conservateur de la CDU, emmené par Wolfgang Schäuble (Président du parlement), l’a pressée de renoncer au parti … pour ne pas se voir démettre publiquement. La tueuse politique qui a enterré Helmut Kohl avait maintenant le pistolet sur la tempe. Fin peu glorieuse pour qui préside le parti depuis 18 ans, mais révélateur d’un virage à droite de la CDU.
Les recettes d’un succès
La recette d’une si longue tenue ? Une dépolitisation des élections pour se faire élire sans proposer de programmes pointus ! Rester général et « volontairement banal, voire insipide ». Cette arme absolue a découragé tous ses adversaires qui n’avaient aucun angle d’attaque ! D’où son surnom affectueux de « Mutti ». Mais Français faites attention, le mot est trompeur car il renvoie au stéréotype ronronnant de la mère au foyer. C’est le vieux principe d’éducation des « 3 K » de la société allemande traditionnelle : Kinder, Kirche, Küche (les enfants, l’église et la cuisine, bien exploité par le Troisième Reich).
Suprême avantage de cette technique : une navigation sans contraintes… pour épouser les forces du vent politique ! Principe du bouchon qui va partout… mais flotte toujours. Astucieuse Angela, bien rodée, autrefois comme victime, à l’aune de l’opportunisme de feu son pays, la RDA. Machiavélique ? Oui, car c’est plus facile pour contrer ses propres troupes (Cf. l’affaire de l’abandon politiquement inopiné de la production d’électricité nucléaire). Mais Outre-Rhin, on dit plutôt « pragmatismus ». En vérité, la force de Merkel est de n’avoir aucune idéologie, sans doute pour éviter les travers des politiciens trop soviétisant de sa jeunesse.
Une suite de sans fautes ou presque
Itinéraire curieux de cette « petite mademoiselle » (surnom donné par Helmut), passée de la physique à la politique. Plus fort qu’Einstein qui refusa d’en faire « parce que c’était beaucoup plus compliquée que la physique » ! Elle a simplement appliqué le « principe de Goethe » où « Tout est plus simple qu’on ne peut l’imaginer et en même temps plus enchevêtré qu’on ne saurait le concevoir ». En fait, son passé scientifique lui a fourni les armes que n’ont pu acquérir les autres : le sang-froid et la constance. Dernière qualité reconnue généralement au peuple allemand qui l’a cultivée depuis les Aventures de Simplicius Simplicissimus (un excellent documentaire sur l’époque, peu connue des Français), pour qui, malheureusement et sur un mode picaresque de la Guerre de Trente Ans, conclut que « Seule est constante l’inconstance ».
Politiquement, la chute de l’inoxydable Merkel est justement ce qui l’a fait apprécier par le monde des sans voix : l’ouverture aux migrants syriens avec son émotion non feinte : « Wir schaffen das » (nous allons y arriver). Même si, par derrière, elle a fait faire le tri en renvoyant les non qualifiés vers la France et la Belgique ! (souvenons-nous de cette bourrelière de sièges chez VW, bien intégrée à la langue et au monde occidental après six mois… C’était une ancienne procureure judiciaire ! Abitur + 7 sur facture !). Une culpabilité toute luthérienne de ne pas reproduire les barrières qu’elle a autrefois vécues ? Sans doute aussi la position commune depuis l’aventure nazie de se questionner sur la responsabilité collective, comme une introspection beethovenienne : « Ist es muß ? Es ist muß ! » (cela doit-il être ? Cela doit être !). Rappel conscient de la devise de Willy Brandt, autre chancelier, gravée sur sa tombe : « J’ai fait mon possible » ? Rappel permanent aussi, à Berlin, comme à Bonn, des prédécesseurs avec le couloir menant au bureau du chef de la chancellerie, affichant la galerie de leur portrait, pas toujours de belle exécution.
Néanmoins, sur le plan intérieur, sa politique d’accueil a radicalisé son allié bavarois, la CSU, et permit la création et le développement de l’AfD ( Alternativ für Deutschland, classé à l’extrême droite de l’échiquier) qui s’est empressé de « siphonner » les électeurs des deux partis conservateurs alliés, CDU et CSU. Politiquement, l’échec relatif de Merkel aux législatives de septembre 2018 lui demandera six mois d’efforts et de compromis pour former une coalition. Record seulement battu par les voisins belges.
En attente du regard de l’Histoire
Alors Angela Merkel en bout de course ? Certainement. Mais si le coronavirus a sauvé une personne, c’est bien elle ! Gestion décentralisée efficace, du moins par rapport aux « états du sud ». Au pic de la seconde vague de la pandémie, elle est à 74 % d’opinion favorable (+ 21 % fin novembre 2020). Ses confrères sont au mieux à 45 %. Records européen et mondial battus… en régime démocratique ! Là-voici maintenant déclarée « Corona-Kanzlerin » ! Elle vient d’être sauvée avant le gong pour laisser une trace positive dans l’histoire et ne pas faire dire que son dernier mandat était celui de trop. On peut lui reprocher de trop privilégier les intérêts des entreprises allemandes plutôt que défendre un idéal européen… mais elle a des électeurs. Un régime parlementaire n’est pas un régime présidentiel (les Allemands depuis une mauvaise expérience ont peur des conducteurs de la nation). Alors, Angela Merkel, mère de l’Europe ? La Chancelière est aux portes de l’Histoire. Encore un peu de recul pour juger puisque, comme.l’écrivait Schiller, « L’histoire du monde est le jugement du monde ».